Un conte de Noël de Claude Foucaud

J’en ai plus qu’assez, déclara un beau matin le père Noël. Je ne rentre plus dans mon costume tellement j’ai maigri. Je suis invivable ont dit les chérubins, bref, je suis stressé, je n’en puis plus. Il va falloir me donner un coup de main.Les chérubins toujours prêts à faire quelques bêtises, à s’amuser proposèrent immédiatement leurs services.

• Pas vous ! Décida le Père Noël. Les anges doivent veiller sur les humains du haut du Ciel. Allez, filez !

Tristes, malheureux, les chérubins s’envolèrent. Ils auraient tellement aimé participer aux préparatifs de Noël. Avisant une douzaine de saints qui passaient par-là, le Père Noël les héla.

• Hé, vous ! Venez donc me donner un coup de main.

Les saints se rebiffèrent. Quoi ? Donner un coup de main au Père Noël, ce n’était pas vraiment leur boulot. Le voilà dans le pétrin, notre Père Noël. Il ne lui reste qu’à essayer du côté des milliers d’anonymes qui peuplent le ciel. Les anonymes avaient presque déjà tous un petit travail là-haut au-dessus des nuages. Mais parmi eux, il y avait des chômeurs.

• Revenez, cria le Père Noël aux chérubins, allez me chercher les chômeurs.

Il y en avait beaucoup, et parmi eux, quelques professionnels. En apprenant qu’il s’agissait de seconder ce vieux Père Noël, toute une armée de chômeurs s’éclipsa rapidement. Ils avaient mieux à faire. Ce qu’ils voulaient, c’est leur tranquillité. Au diable le père Noël.Au diable… Tiens se dit le Bonhomme Noël, pourquoi n’irais-je pas recruter mes aides en Enfer ? Pas possible. On estima au ciel que cela faisait désordre.

Parmi les chômeurs, une main se leva.

• Je veux bien vous aider, Père Noël.

Le vieux grognon faillit s’étrangler. Comment ? Une femme voulait l’aider dans son travail. Une nana. , une mère Noël en quelque sorte. Et puis quoi encore.

• Je ne veux pas de faible femme, hurla t-il.

Toutes les chômeuses (et ils y en avaient beaucoup) se levèrent d’un bloc. Elle l’accablèrent de mille noms dont misogyne était encore le plus convenable. Une autre main s’éleva. Celle d’un gentil artiste, un peu timide et qui sur terre, n’avait pas connu la gloire. Eh oui, il n’avait pas vécu à Paris et en province, c’est plus que dur pour percer.

• M’acceptez vous, Père Noël ?

Pas vraiment format armoire normande, ce gentil comédien. Comment allait t-il pouvoir se charger de milliers de cadeaux ?

• On peut toujours essayer, s’entendit t-il répondre.

Le petit comédien était doté d’un certain charisme. Le Père Noël constata que beaucoup d’autres mains se levèrent. Voilà qui était mieux. Allons, au travail.

Et commencèrent des stages, des séances de formation accélérées, des réunions éducatives, enfin, une activité intense régna au Ciel. Le Père Noël qui, finalement n’était pas mauvais bougre, fit revenir les chérubins. Ces petits anges vifs, intelligents, plein de fougue et qui lui étaient tout dévoués lui rendirent mille et un services. Installer les salles de formation, trouver calepins, stylos et autres ustensiles, retrouver le traîneau du 24 décembre, courir à la poursuite des rennes … Les rennes ? Des hurlements s’élevèrent dans ce ciel ou tout ne devait qu’être calme et quiétude.

• Pas question que j’utilise un traîneau tiré par des rennes, hurla le stagiaire.
• Nous n’en voulons pas non plus, crièrent d’autres.

Le Père hurla encore plus fort.

• Et alors, comment allons nous distribuer les cadeaux ?
• En Jumbo, en jet, en hélicoptère hurlèrent les élèves du Père Noël.

On opta pour la fusée, plutôt pour les fusées.

• On peut les piloter, hurlèrent les chérubins.

Ils se firent rabrouer. Crier n’était pas digne des chérubins Mais le Père Noël était d’accord pour leur confier le pilotage. Voilà, tout était prêt. Un seul Père Noël, mais des milliers d’aides. La distribution des cadeaux peut se faire à une allure record.

Et ce fut le retour au Ciel. Les Pères Noël avaient tous des cadeaux offerts par les enfants dans leurs fusées. Bonbons, chocolats, pains d’épices, même des petites bouteilles de Schnaps, de gros cigares, et pourtant on ne fume pas au Ciel. On mit tout en commun et les chérubins procédèrent à une distribution équitable de tous ces cadeaux. Le vrai Père Noël participa aux réjouissances. Il essayait d’échanger des sachets de bonbons contre des mignonnettes de Mirabelle véritable de Lorraine. Non pas qu’il fut alcoolique, mais un petit verre n’était pas fait pour lui déplaire.

Et brusquement, on ne le vit plus. Il s’était retiré dans ses pénates. Un petit chérubin malin vint y jeter un coup d’œil curieux. Et que vit t-il ? Un Père Noël déversant sa mirabelle véritable de Lorraine dans un curieux récipient.

• Coucou, coucou, Père Noël, c’est quoi cette grande tasse ?
• Ce n’est pas une grande tasse, mais un mug, corrigea le Père Noël pendant que le charmant chérubin rameutait les copains et les assistants du bonhomme Noël.
• Ah ah, tu as voulu garder ce cadeau pour toi, cria un assistant. Tu n’es qu’un vilain monsieur qui ne veut pas partager avec les autres. Pauvre Père Noël. Son joli mug qu’il avait accepté d’un petit garçon avec une si grande joie lui fut arraché des mains. Il passa de l’un à l’autre, avant d’échapper à une main impatiente. Clunk… même le nuage rose ne réussit pas à amortir le choc. Le mug vola en éclats.

Des larmes s’échappèrent des yeux du Père Noël. Il n’avait même pas pu boire un " chlouk " de sa Mirabelle Véritable de Lorraine.

• C’est quoi un chlouk, Père Noël ?
• C’est un mot nordique signifiant gorgé. Ce sont mes rennes qui emploient ce terme. Pendant mon long périple dans la nuit du 24 au 25 décembre, ils s’arrêtèrent à tout bout de nuage pour réclamer un " schluck " de vin chaud à la cannelle. Ces sacrées bestioles ont même osé une nuit faire la grève parce que je n’avais plus de vin chaud. J’ai du envoyer mes chérubins en chercher. Oui, vous ne m’avez même pas laissé une petite gorgée, renifla le Père Noël.

Pas très fier, le petit chérubin qui avait ameuté presque tout le ciel pour ce foutu mug. Il n’aimait pourtant pas faire de la peine au Père Noël.

• C’était ma dernière sortie, annonça le Père Noël. Je voulais vous le dire ce soir. Mes assistants savent fort bien se débrouiller. Ils n’ont plus besoin de moi et j’aimerais bien prendre ma retraite. Je voulais aussi trinquer avec tout le monde avec mon mug et ma mignonette. Encore quelques larmes. Tout le ciel renifla. Pourquoi avoir fait de la peine à ce vieux bonhomme qui voulait prendre une retraite bien méritée et qui n’aspirait ce jour là qu’à’ un petit bonheur :  prendre un chlouk dans un très joli mug.
• J’ai une idée, claironna le petit chérubin qui, par sa curiosité avait déclenché tout le drame. Nous allons demander à tous les enfants qui attendent le Père Noël de changer un peu les habitudes. On déposait jusqu’à présent surtout des bonbons, chocolats et pains d’épices devant les cheminées ou les seuils des maisons pour remercier le Père Noël d’avoir apporté autant de cadeaux. Et si maintenant les enfants déposaient simplement un mug ?
• Oui, oui, s ‘écria d’un seul élan tout le Ciel. Déposez des mugs, les enfants ! Le plus original, nous l’offrirons au Père Noël ! Les autres, nous nous les partagerons. Et les chérubins prépareront le vin chaud de Noël. Et le Père Noël trinquera avec nous et tout le monde sera heureux grâce au chlouk ne Noël. Voilà, les enfants, mettons-nous en chasse pour trouver le plus beau mug.